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Publié le 17 Déc, 2024
Catégories : Domaine

Comment la gastronomie française a failli connaître une tragédie de grande ampleur ?

 Aujourd’hui, le Porc Gascon est la Diva des épicuriens bien informés. Quelques chefs, ceux qui cherchent le meilleur, le servent à leur table. Sa viande coûte quatre fois plus cher que celle des porcs industriels et sa réputation dans la gastronomie française le place aux côtés d’un agneau de pré-salé ou d’un bœuf Wagyu.

C'est un trésor du patrimoine français et une véritable expérience gustative pour les palais avertis.

Pourtant, ce cochon millénaire est passé au bord du génocide.

Alors que s’est-il passé ? Comment ce cochon séculaire dont raffolent dorénavant les gourmets a failli sombrer dans l’oubli ? 

C’est ce qu’on va découvrir ensemble dans ce récit d’anthologie.
Le Porc Gascon est une race ibérique qui a passé les Pyrénées il y a plus de 1000 ans pour venir s’installer en Gascogne. Les coteaux boisés du Sud-Ouest comme les causses du Quercy offrent un terroir exceptionnel et un climat propice à l’élevage du Porc Gascon.

On retrouve de nombreuses occurrences de cette race ancestrale dans les annales. 

Au Moyen Âge, déjà les cartulaires des monastères de Gascogne, comme l’abbaye de Saint-Sever, attestent que le porc est un aliment de base dans la Gascogne. La région, riche en forêts, offrait un environnement idéal pour l’élevage en plein air des porcs, qui pouvaient se nourrir de glands, de châtaignes et d'herbes sauvages.

Les chroniques médiévales et les documents locaux font référence à cette viande savoureuse et persillée, recherchée pour la charcuterie et le jambon. 

Suite à ses recherches, M. Girard dans la Revue de zootechnie, affirmait en 1921 :

« Le Porc Noir est une race très ancienne, autochtone, ayant pris naissance aux temps préhistoriques, dans les profondeurs des immenses forêts qui couvraient les hautes vallées des montagnes qui séparent la France de l’Espagne. Elle est considérée comme la descendante du type ibérique décrit par Sanson, qui d’origine africaine, aurait suivi la fortune des ibères, ses premiers maîtres, envahi l’Espagne, puis gagné la France du Midi, à travers le plateau Pyrénéen. Là, les hommes ont assuré avec la permanence des mêmes conditions de vie, le maintien des races animales domestiques dans leur état primitif. Dans tous les cas, le porc a toujours existé dans les Pyrénées tant espagnoles que françaises et l’espèce en fut toujours noire ».

M. Girard - Revue de Zootechnie - 1921

Si les documents témoignent d’une chose, c’est bien que cette race a toujours été présente et intégrée dans les cultures agricoles de l’époque.

Jusqu’à ce que l’industrie s’en mêle…

Pourquoi le Porc Gascon ne convenait pas à l’industrie agro-alimentaire ? 

Rembobinons. 

Fin du 19ème siècle, de l’autre côté de l’Atlantique à Chicago, les patrons des nouveaux abattoirs industriels se sont rendus compte qu’ils peuvent produire de la charcuterie en dehors des 3 mois hivernaux en ajoutant des blocs de glace entre les cloisons.
Ce qui tourne rapidement au carnage, car on parvient à garder les entrepôts frais, mais l’eau suinte des murs, les parois pourrissent. Vive l’insalubrité. 

Pourtant, tout s’accélère à partir de ce moment-là. Les abattoirs, s'équipent de rails aériens permettant de déplacer les carcasses de porcs d’un poste à un autre, où l'opérateur spécialisé ne fait qu'une seule tâche.
C'est le début du travail à la chaîne.


L’enjeu est international. Il faut produire plus, et plus vite pour un monde de plus en plus urbain. Les industriels se lancent dans une course effrénée pour transformer l’art des charcuteries et des salaisons en un process mécanisé.

Des pans entiers des abattoirs sont repensés pour remplacer le savoir-faire de l'artisan par l'ouvrier spécialisé et la machine.
Les barons américains de la viande investissent massivement dans de nouveaux équipements pour optimiser chaque tâche.

Un système basé sur la division et la spécialisation des tâches qui sera adapté à l'industrie automobile 40 ans plus tard !

Contrairement à  une idée répandue, le travail à la chaine n'est pas né dans les usines Ford.

En 1913, Henry Ford installe la première chaîne de montage mobile dans l’usine de Highland Park (Michigan) pour la fabrication à la chaine de sa Ford T.

Son système est directement inspiré par les convoyeurs automatiques des abattoirs de Chicago et des infrastructures de l'industrie de la viande qui sont en place depuis ... 1870.

La nourriture industrielle est née avant l'automobile.

Nitrite et charcuterie mondialisée

Puis vient la découverte du nitrite qui simplifie et accélère le séchage des salaisons, et donne cette couleur rose si appétissante.

Dans cette industrie intégrée, les cochons sont transformés en charcuteries standardisées expédiées à travers le monde.

En deux décennies, toutes les opérations manuelles sont revues et adaptées à la mécanisation : le parage des jambons, l’injection de solution sel/nitrate/borate, l’aplatissement du bacon, le hachage de la chair, le nettoyage des boyaux, l’embossage des saucisses, le fumage, le tranchage, l’emballage, ...


Cette technique, toujours plus rapide, se répand de l’autre côté de l’Atlantique, chez nous, en Europe.

Pour rivaliser avec les charcuteries américaines toujours moins chères, toujours plus roses qui envahissent les rayons, les charcutiers européens sont obligés de suivre la cadence et s’adapter au rythme effréné des Ricains.

En parallèle, en Angleterre, on commence à entendre parler d’un cochon qui pousse plus vite : le Large White

Adapté à l’élevage en captivité, ce cochon se répand comme une traînée de poudre auprès des paysans français qui deviennent des éleveurs de porcs peu à peu esclaves des industriels de la viande.

Dans cette nouvelle chaîne, les cochons sont comme des boulons.
Le Large White, standardisé, s’adapte à toutes les étapes de l’élevage jusqu’à la découpe à la chaîne. 

Aujourd’hui en France, les abattoirs signent des clauses "d'intégration" avec les éleveurs. L’éleveur est intégré dans la filière, il est endetté à vie mais il "bénéficie" d’une sorte de sécurité précaire en étant sûr de pouvoir vendre ses cochons. En échange, il doit respecter à la lettre le cahier des charges et produire des cochons qui s'emboîtent parfaitement aux machines pour un prix de plus en plus bas.

Pour l'éleveur, c'est le cauchemar. Coincé entre les variations du cours du porc, l'augmentation des tarifs du soja  et les emprunts hypothécaires à rembourser, il ne compte plus les nuits blanches.


Un système bancal dans lequel les valeurs humaines et le Porc Gascon n’ont pas leur place.

Le Porc Gascon disparaît progressivement pour laisser place à une nouvelle race de cochon

En quelques années, les traditions, vieilles de plusieurs siècles, sont lentement oubliées et effacées par des solutions à la chaîne. 

Les paysans des générations précédentes, attachés à un mode de vie rural et respectueux des cycles naturels, disparaissent lentement mais sûrement, laissant place à une nouvelle génération, les exploitants agricoles.
De moins en moins nombreux, ils n’ont d’autre choix que de se tourner vers le productivisme. Ils perdent l'intérêt pour le Porc Gascon, qui nécessite trois fois plus de temps que les porcs industriels pour atteindre un poids commercialisable, et se tournent progressivement vers les porcs anglo-saxons.

Les Porcs Gascons s’éclipsent des exploitations et auraient probablement disparu de la surface de la Terre, si quelques irréductibles paysans des hautes vallées des Pyrénées ne l’avaient protégé par ignorance. 


Quand l’ignorance est un bon défaut :
Sauvetage in extremis du Porc Gascon.

Nous sommes dans les années 1980, et le Porc Gascon est en péril. Seule une trentaine de truies de race pure subsistent, sauvées par quelques paysans isolés dans les hautes vallées des Pyrénées qui continuent à les élever de manière traditionnelle. 

Comme Monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, ces paysans sauvaient un patrimoine génétique sans s'en rendre compte.

Ils n’avaient pas la télé, n'étaient pas vraiment relié à la société moderne, perpétuant ainsi une forme de résistance inconsciente face à l’industrialisation de l’agriculture.
Ils continuaient donc à élever le Porc Gascon à l’ancienne, comme le faisaient leur père, et le père de leur père avant eux.

Pour ces paysans, un cochon, c'était noir et pas autrement, comme en témoignent les représentations ancestrales gravées sur les pierres de la basilique de Saint-Bertrand-de-Comminges. 

Par instinct, ils persévèrent à conserver cette race en voie de disparition. 

La curiosité n'est pas toujours un vilain défaut

C’est dans ce contexte que je découvre le Porc Gascon à la fin des années 80 grâce à un couple de retraités franco-anglais originaux. Elle avait été mannequin, il chantait du Gospel et avaient vécu plusieurs années sur un voilier avant de s’installer dans le Quercy. De passage chez nous, ils m’expliquent que leurs aventures les ont conduits dans les Pyrénées où ils ont mangé la viande d'un porc noir au goût exceptionnel.

Il n’en faut pas plus pour piquer ma curiosité. Je commence à me renseigner et ma route me mène rapidement au Porc Gascon. C’est comme ça que j’ai pris contact avec l'Institut Technique du Porc afin de réintroduire le Porc Gascon dans le Lot.

Je commence par clôturer trois hectares de bois. Reliés à l'ancienne porcherie, les bêtes peuvent se reposer à l'abri sur la paille. Je commence modestement avec deux truies et le verrat Houx. Chaque bête provient de familles différentes pour écarter tout risque de consanguinité.

J’apprends sur le tas les ficelles de l’élevage de cet animal rustique. Avec cette modeste installation, j’élève une vingtaine de porcs par an, d’abord pour répondre aux besoins de mon restaurant, puis pour commencer une production de jambons et de charcuteries pour valoriser l'ensemble de l'animal.

Quelques années plus tard, en 1996, je construis un laboratoire aux normes européennes qui va me permettre d'aller plus loin.

Aujourd’hui, j’ai arrêté d’élever des porcs sur le domaine et j’ai délégué cette partie à quelques éleveurs passionnés qui s’engagent à respecter le cahier des charges très strict que je leur fournis. 

Les porcs sont élevés en liberté sur parcours agroforestier, pendant 15 à 24 mois, vous pouvez d’ailleurs les voir dans l’émission “Le doc du Dimanche : Saucisson, gare aux cochonneries” sur France 5 (à partir de la minute 23). 

La sauvegarde du Porc Gascon n’était pas gagnée d'avance


Soyons honnête : 

Entre l'aménagement et l'entretien annuel des parcs dans les bois, l'alimentation, la surveillance, la longueur de l'élevage, élever un Porc Gascon revient 3 à 5 fois plus cher que d’élever un porc blanc industriel. 

Quand le cochon est prêt, l'éleveur l'amène à l'abattoir. Le plus proche étant souvent à 50 ou 100km, il faut prévoir une journée de transport pour chaque abattage (4 cochons maximum).

Pour les abattoirs, le Porc Gascon est classé dans la catégorie de "l'abattage familial", c'est-à-dire des petites quantités avec des poids différents qui ne rentrent pas sur la chaîne d'abattage classique.
Passé partout, l'abattage d'un Porc Gascon coûte 5 fois plus cher que celui d'un porc industriel.

La découpe artisanale que nous pratiquons et qui prend soin de chaque pièce de l’animal prend 2 à 5 fois plus de temps que la découpe à la chaîne de cochons standardisés. 

Saler et affiner individuellement chaque jambon sans utiliser de nitrite me demande 7 fois plus de temps que si j’injectais juste une piqûre de sel nitrité dans mon lot de jambons. 

Enfin, une fois toutes ces étapes passées, il faut encore compter 30 mois minimum pour vous proposer un de nos jambons d'exception.
Alors pourquoi je fais tout ça ? 

Ce n'est pas pour devenir riche, malgré le prix élevé de nos jambons.

Au total, c'est 3 à 10 années pour commercialiser un jambon, pour avoir le retour sur investissement du premier euro dépensé. A l'heure des start up et des bulles internet qui explosent en 6 mois, je suis vraiment à contre courant.

Il y a une raison essentielle :

La quête du goût poussée à son paroxysme. 

Quand j’ai commencé à m’intéresser au Porc Gascon, j’avais moins de trente ans, je venais de récupérer le domaine en ruines et servais quelques couverts sous une toiture en piteux état qui m'obligeait à mettre des bassines dans la salle de restaurant les jours de pluie.

Mais j'avais déjà une ambition qui ne m’a pas lâché depuis : avoir le meilleur produit.

J'étais un peu naïf, j'avais certainement aussi une envie rebelle de ne pas faire comme les autres qui m’a convaincu de me lancer dans cette aventure.

A une époque où les restaurants gastronomiques servaient du magret de canard aux pêches, le goût de ce cochon a provoqué en moi un choc révélateur.

C’est comme ça que j’ai succombé au Porc Gascon…

J'ai voulu remettre ce délice au centre de l’assiette, ne pas le camoufler, ni l’embellir, juste le faire vivre.

Je voulais que cette viande devienne l’expérience elle-même. 

Le Porc Gascon est une de ces viandes rares que vous reconnaissez au premier coup de fourchette.

Comme ce beurre de Louis Charby dans l'Allier, un beurre bio au lait cru de vaches jersiaises élevées au pré toute l'année. Un beurre qui m'a marqué immédiatement il y a 20 ans.
Un beurre qui a malheureusement disparu en 2024 quand Louis Charby a pris la retraite , sans successeur.

Le Porc Gascon, lui n'a pas disparu.
Quand vous goûtez le Porc Gascon, vous le savez
Dès le début, j'ai su que je venais de découvrir quelque chose de précieux.

Après quelques recherches, je me suis rendu compte qu'aucun restaurateur ne cuisinait le Porc Gascon.

J’ai été le premier à introduire ce mets délicat dans la gastronomie, il y a plus de 30 ans.

Et l'idée a suivi son chemin puisque aujourd’hui. Nos produits participent aux assiettes de quelques grands chefs, comme Anne-Sophie Pic, Arnaud Lallement, ou Michel Guérard.

C'est surtout son gras qui a eu raison de moi.


Les graisses animales sont décriées, à juste titre car elles sont issues d'animaux mal élevés, en batterie, de manière industrielle.

Mais le gras du Porc Gascon est absolument unique. Parce que la qualité d'un gras est indissociable du mode d'élevage et de l'alimentation.

Pour le Porc Gascon, celle-ci est extrêmement diversifiée par ce que produit la forêt : racines, insectes, vers, glands, châtaignes, herbe fraîche, ...

Son gras est succulent, son goût profond. Il s'adapte à toutes formes de préparations salées ou sucrées.

Au niveau de la santé, on tape aussi dans le mille. Contrairement aux cochons industriels qui produisent peu de gras et de mauvaise qualité, le Porc Gascon fait "du gras". Un gras riche en acides gras insaturés avec un équilibre d'acides gras mono-insaturés et poly-insaturés. Ce “bon gras” est reconnu pour ses bénéfices sur la santé, notamment en favorisant un équilibre favorable entre les oméga-3 et oméga-6, pouvant aider à réduire le mauvais cholestérol (LDL) tout en augmentant le bon (HDL).

Avec une croissance bien plus lente que les autres races, le Porc Gascon produit des fibres musculaires courtes et rondes propices à la formation d'un gras intra-musculaire, permettant une meilleure rétention de l'humidité dans la viande. 

Sa viande est incroyablement juteuse. Elle est persillée, tendre et offre des arômes riches.

C'est ce qui en fait une viande idéale pour les plus grandes salaisons et notamment pour son jambon qui peut rivaliser avec les meilleurs jambons ibériques.

A la minute où j’ai compris ça, je me suis immédiatement et exclusivement dédié au Porc Gascon. Les seules salaisons qui sortaient de nos caves chaque année provenaient de ce cochon. 

40 ans après, j’ai affiné mes techniques d'affinage spécifiques pour obtenir des salaisons aux saveurs complexes et persistantes.

En 2019, nous avons été certifiés EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) pour l'excellence de notre savoir-faire au même titre que Vuitton ou Hermès.

Vous souhaitez goûter à cette expérience gastronomique exceptionnelle ?

Chacun de nos produits est l'aboutissement de plusieurs dizaines d’années de recherche, de travail et de passion et possède une identité propre.

Découvrez dès maintenant chacun d’entre eux en détail en cliquant ici : 

QUESTIONS/REPONSES

Quelle est la différence entre Noir de Bigorre et Porc Gascon ?

 C'est une question qui revient fréquemment parmi nos lecteurs.

Noir de Bigorre est une AOP (Appellation d’Origine Protégée) créée en 2017, qui utilise exclusivement du Porc Gascon pure race.

De la même façon, les vins de Bourgogne rouge sont élaborés à partir du cépage Pinot Noir. Mais vous retrouvez d'excellents vins élaborés à base de Pinot Noir en Champagne ou en Alsace. Ainsi, le Porc Gascon peut-être élevé en Bigorre (un de mes éleveurs est en Bigorre), en Gascogne, dans le Quercy et dans tout le Sud-Ouest. 

Pour nous l'important n'est pas que le Porc Gascon soit élevé en Bigorre ou en Gascogne mais qu'il soit bien élevé.

Vous voulez mieux comprendre la gastronomie, l’agriculture et leur impact sur votre santé ?

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Patrick Duler

cuisinier-paysan

Fondateur de la Maison Duler

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