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Publié le 17 Déc, 2024
Catégories : Domaine

Comment la gastronomie française a failli connaître une tragédie de grande ampleur ?

 Aujourd’hui, le Porc Gascon est la Diva des restaurants étoilés. De nombreux chefs le servent à leur table, sa viande coûte quatre fois plus cher que celle de porc industriel et sa réputation dans la gastronomie française le place aux côtés d’un agneau de pré-salé ou d’un bœuf Wagyu.

Pourtant, ce cochon millénaire, trésor du patrimoine et véritable expérience gustative pour les palais avertis, est passé au bord du génocide.

Alors que s’est-il passé ? Comment ce cochon millénaire dont raffolent dorénavant les gourmets a failli sombrer dans l’oubli ? 

C’est ce qu’on va découvrir ensemble dans ce récit d’anthologie.

Mais avant de foncer tête baissée, je vais profiter de ce passage, pour répondre à une question qui revient fréquemment parmi nos lecteurs :

Quelle est la différence entre Noir de Bigorre et Porc Gascon ?
 

Noir de Bigorre est une AOP (Appellation d’Origine Protégée) créée en 2017 qui utilise exclusivement du Porc Gascon pure race. De la même façon que l’AOP Vin de Bourgogne utilise le cépage Chardonnay. Mais vous retrouvez du Chardonnay partout dans le monde. Ainsi, le Porc Gascon n’est pas l’exclusivité de la Bigorre (comme le Chardonnay n’est pas l’exclusivité de la Bourgogne), il est aussi élevé notamment en Gascogne et dans tout le Sud-Ouest. 

Le Porc Gascon est une race ibérique qui a passé les Pyrénées il y a plus de 1000 ans pour venir s’installer en Gascogne. Les coteaux boisés du Sud-Ouest comme les causses du Quercy offrent un terroir exceptionnel et un climat propice à l’élevage du Porc Gascon.

On retrouve de nombreuses occurrences de cette race ancestrale dans les annales. 

Au Moyen Âge, déjà les cartulaires des monastères de Gascogne, notamment ceux de l’abbaye de Saint-Sever, attestent que le porc est un aliment de base dans la Gascogne. La région, riche en forêts de chênes, offrait un environnement idéal pour l’élevage en plein air des porcs, qui pouvaient se nourrir de glands (procédé connu sous le nom de panage, à ne pas confondre avec le pannage qui est le fait d’enduire les jambons d’un mélange de saindoux et de farine). Cela donnait une viande savoureuse et grasse, très prisée pour la charcuterie dont le jambon de Bayonne ou le boudin auxquels font référence les chroniques médiévales et les documents locaux. 

Suite à ses recherches, M. Girard dans la Revue de zootechnie, affirmait en 1921 :

« Le Porc Noir est une race très ancienne, autochtone, ayant pris naissance aux temps préhistoriques, dans les profondeurs des immenses forêts qui couvraient les hautes vallées des montagnes qui séparent la France de l’Espagne. Elle est considérée comme la descendante du type ibérique décrit par Sanson, qui d’origine africaine, aurait suivi la fortune des ibères, ses premiers maîtres, envahi l’Espagne, puis gagné la France du Midi, à travers le plateau Pyrénéen. Là, les hommes ont assuré avec la permanence des mêmes conditions de vie, le maintien des races animales domestiques dans leur état primitif. Dans tous les cas, le porc a toujours existé dans les Pyrénées tant espagnoles que françaises et l’espèce en fut toujours noire ».

M. Girard – Revue de Zootechnie – 1921

Si les documents témoignent d’une chose, c’est bien que cette race a toujours été présente et intégrée dans les cultures agricoles de l’époque. Jusqu’à ce que l’industrie s’en mêle…

Pourquoi le Porc Gascon ne convenait pas à l’industrie agro-alimentaire ? 

Rembobinons. 

Fin des années 1800, de l’autre côté de l’Atlantique dans le Milwaukee, berceau des charcuteries processées, les industriels se rendent compte qu’ils peuvent produire de la charcuterie en dehors des 3 mois hivernaux. D’abord en ajoutant de gros blocs de glace entre les cloisons. Ce qui tourne rapidement au carnage, car on parvient à garder les entrepôts frais, mais l’eau suinte des murs, les cloisons pourrissent. 

Vive l’insalubrité. 

Puis vient la découverte du nitrite qui simplifie et accélère le séchage des salaisons : de plusieurs mois de séchage, on passe à 30 jours.

Tout s’accélère à partir de ce moment-là. Les abattoirs, déjà équipés d’un rail aérien permettant de déplacer les carcasses de porc d’un poste à un autre, se mettent à investir massivement dans de nouveaux équipements.

Il y a de l’argent en jeu. L’enjeu est international. Il faut produire, produire, toujours produire plus et plus vite pour un monde de plus en plus urbain. Les industriels se lancent dans une course effrénée pour réinterpréter l’art des charcuteries et des salaisons. 

Tout est automatisé, tout est mécanisé, le plus possible. Tout est breveté.  Il n’y a plus de place pour le savoir-faire, pour l’artisanat. Les ouvriers sont progressivement remplacés par des machines. 

Des pans entiers dans les abattoirs sont repensés pour la division et la spécialisation des tâches.

On raconte d’ailleurs qu’Henry Ford aurait eu l’idée du travail à la chaîne en prenant exemple sur les chaînes d’abattage et de découpe.

A peine passés la porte, les cochons sont comme projetés en dizaines de produits, puis expédiés à travers le monde. Le parage des jambons, l’injection de solution sel/nitrate/borate, l’aplatissement du bacon, le hachage de la chair, le nettoyage des boyaux et leur remplissage (l’embossage des saucisses), le fumage, le tranchage, l’emballage : en deux décennies, toutes les opérations manuelles sont revues et adaptées à la mécanisation.
Forcément, cette manière de faire, toujours plus rapide, se répand dans les autres pays, et de l’autre côté de l’Atlantique, chez nous, en Europe.

Pour rivaliser avec les charcuteries américaines toujours moins chères, toujours plus roses qui envahissent les rayons, les charcutiers européens sont alors bien obligés de suivre la cadence et s’adapter au rythme effréné des Ricains.

En parallèle, en Angleterre, on commence à entendre parler d’un cochon qui pousse plus vite : le Large White

Plus adapté pour l’élevage en captivité, ce cochon se répand comme une traînée de poudre auprès des éleveurs français qui privilégient  dorénavant des solutions plus industrielles.

Dans cette nouvelle chaîne qui a des aspects de Terminator, les cochons sont comme des boulons. Le Large White, standardisé, s’adapte à toutes les étapes de l’élevage jusqu’au découpage. 

Mais la machine s’enraye, et l’éleveur, auparavant libre de gérer son élevage comme bon lui semble, devient peu à peu esclave des industriels de la viande. 

Aujourd’hui en France, les abattoirs signent des clauses d’exclusivité avec les éleveurs. D’un côté, l’éleveur ‘bénéficie’ d’une sorte de sécurité précaire en étant sûr de pouvoir vendre ses cochons. En échange, il doit respecter à la lettre le cahier des charges et produire des cochons qui s’emboîtent parfaitement aux machines pour un prix de plus en plus bas.

Un système bancal dans lequel les valeurs humaines et le Porc Gascon n’ont pas leur place.

Le porc gascon disparait progressivement pour laisser place à une nouvelle race de cochon

En quelques années à peine, les traditions, vieilles de plusieurs siècles, sont lentement oubliées et effacées par des solutions à la chaîne. 

Les paysans des générations précédentes, attachés à un mode de vie rural et respectueux des cycles naturels, disparaissent lentement mais sûrement, laissant place à une nouvelle génération d’agriculteurs de moins en moins nombreux qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers le productivisme. Ils perdent l’intérêt pour des races comme le Porc Gascon, qui nécessite deux fois plus de temps que les porcs industriels pour atteindre un poids commercialisable, et se tournent progressivement vers les porcs anglo-saxons.

Les porcs gascons s’éclipsent des exploitations et auraient probablement disparu de la surface de la Terre, si un petit groupe de paysans des Pyrénées ne l’avaient pas protégé par ignorance. 


Quand l’ignorance est un bon défaut :
Sauvetage in extremis du Porc Gascon.

Nous sommes dans les années 1980, et le Porc Gascon est en péril. Seule une trentaine de truies de race pure subsistent, sauvées par quelques paysans isolés dans les hautes vallées des Pyrénées qui continuent à les élever de manière traditionnelle. 

Ces paysans, comme Monsieur Jourdain, faisaient des vers sans le savoir. Ils sauvaient un patrimoine génétique parce qu’ils n’avaient pas la télé, ni même une véritable connexion avec la société moderne, perpétuant ainsi une forme de résistance involontaire face à l’industrialisation galopante de l’agriculture. Ils continuaient donc à élever le Porc Gascon à l’ancienne, comme le faisaient leur père et le père de leur père avant eux. Pour ces éleveurs, un cochon, c’était noir et pas autrement, telles en témoigne les représentations ancestrales gravées sur les pierres de la basilique de Saint-Bertrand-de-Comminges. 

Ils persévèrent donc involontairement à conserver cette race en voie de disparition. 

C’est dans ce contexte que je découvre le Porc Gascon grâce à un couple de retraités anglais originaux. Elle avait été mannequin, il chantait du Gospel et avaient vécu plusieurs années sur un voilier avant de s’installer dans le Quercy. De passage chez nous, ils m’expliquent que leurs aventures les a conduits dans les Pyrénées où ils ont eu la chance de goûter un jambon au goût exceptionnel fait à partir d’un certain Porc Noir.

Il n’en faut pas plus pour piquer ma curiosité. Je commence à me renseigner et ma trace me mène rapidement au Porc Gascon. C’est comme ça que j’ai pris contact avec l’Institut Technique du Porc afin de réintroduire le Porc Gascon dans le Lot.

Je commence par clôturer trois hectares de bois et prairies reliés aux anciennes porcheries pour que les bêtes puissent se reposer bien au chaud sur paille. J’ai l’ambition à terme d’accueillir une vingtaine d’animaux, et je commence donc modestement avec deux truies et le verrat Houx. Comme il se doit, chaque individu provient de familles différentes pour écarter tout risque de consanguinité.

J’apprends sur le tas les ficelles de l’élevage de cet animal rustique et solide pour les élever sur le domaine. Avec cette modeste installation, j’élève une vingtaine de porcs par an, d’abord pour répondre aux besoins de mon restaurant, puis pour initier une production de jambons et de charcuteries dans un laboratoire remis à neuf, satisfaisant les normes les plus sévères. Je me fixais pour objectif de valoriser l’intégralité de l’animal. 

Aujourd’hui, j’ai arrêté d’élever des porcs sur le domaine et j’ai délégué cette partie à quelques éleveurs qui s’engagent à respecter le cahier des charges très strict que je leur fournis. 

Les porcs sont élevés en liberté sur parcours agroforestier, pendant 15 à 24 mois, vous pouvez d’ailleurs les voir dans l’émission “Le doc du Dimanche : Saucisson, gare aux cochonneries” sur France 5, à partir de la minute 23. 

Si j’ai participé à la sauvegarde de ce Porc, ce n’était pas seulement pour satisfaire mon côté bon samaritain

Soyons honnête : 

Élever un porc Gascon revient en moyenne 5 fois plus cher que d’élever un porc blanc standard, correspondant aux normes industrielles. 

La découpe artisanale que nous pratiquons et qui valorise chaque pièce de l’animal prend 2 à 5 fois plus de temps que la découpe à la chaîne de cochons standardisés. 

Saler et affiner individuellement chaque jambon sans utiliser de nitrite me demande 7 fois plus de temps que si j’injectais juste une piqûre de botox (autrement dit de nitrite) dans mon lot de jambons. 

Il faut que je paie l’éleveur qui va se charger d’élever le porc gascon sur parcours agroforestier pendant 1 an et demi. Cet éleveur, par la nature de son élevage, a des coûts bien supérieurs à la moyenne… Il doit entretenir les arbres, faire pousser les céréales biologiquement afin de sustenter les cochons durant l’hiver. 

Ensuite, quand le cochon est prêt, l’éleveur l’amène à l’abattoir. Le plus proche étant à 100km, il faut prévoir une journée de transport pour chaque abattage (entre 3 et 5 cochons). L’abattage d’un Porc Gascon coûte d’ailleurs 5 fois plus cher que le Large White puisque le Porc Gascon ne rentre pas sur la chaîne de découpage. Il faut donc le travail d’une personne expérimentée. 

Enfin, une fois toutes ces étapes passées, il faut encore compter minimum 20 mois pour qu’un jambon sorte de nos caves. Au total, il faut 45 mois minimum, pour que je revoie la couleur d’un seul euro dépensé. 

Alors pourquoi je fais tout ça ? 

Pourquoi choisir le long chemin qui demande tellement d’énergie et de ressources, plutôt que simplement choisir la facilité, envoyer mon cochon Large White à l’abattoir, faire une piqûre à mon jambon et l’exposer 30 jours plus tard sur les marchés ? 

Il y a deux raisons.

La première : 

C’est la quête du goût poussée à son paroxysme. 

Quand j’ai commencé à m’intéresser au porc gascon, j’avais une vingtaine d’annés, Je venais de récupérer le domaine et servais quelques couverts sous le toit en piteux état. Mon ambition à l’époque, et qui ne m’a pas lâché depuis, était de rester vrai au produit. 

Peut-être étais-je naïf, ou peut-être était-ce une envie rebelle de vouloir me hisser dans cette industrie et de ne rien faire comme les autres qui m’a convaincu de me lancer dans cette aventure. A une époque où tout le monde affichait du magret de canard aux pêches sur leur menu, je voulais faire quelque chose de différent, d’exceptionnel. Je voulais remettre le produit au centre de l’assiette, ne pas le camoufler, ni l’embellir, juste le faire vivre. Je voulais que le produit devienne l’expérience elle-même. 

C’est cette ambition du meilleur goût qui m’a poussé si loin. Et quand on veut faire une cuisine tournée exclusivement vers le produit, il vous faut de bons produits. C’est le B.A-BA. 

C’est comme ça que j’ai succombé au Porc Gascon…

Le Porc Gascon est une de ses races rares et pures que vous reconnaissez au premier coup de fourchette. Un peu comme un beurre jaune tournesol fait par les mains expertes d’une fermière ayant passé les 40 dernières années de sa vie à pratiquer le même geste, jour après jour. Ou comme ce vin dont le raisin s’est gorgé de soleil sur un terroir riche. Quand vous goûtez le porc Gascon, vous savez que vous êtes en territoire Gascon. 
Je savais que je venais de toucher à quelque chose de précieux. En me renseignant, je me suis rapidement rendu compte que personne n’utilisait plus le Porc Gascon. J’ai été le premier à introduire ce mets délicat dans la haute gastronomie. Mission plutôt réussie puisque aujourd’hui, nos différents produits viennent embellir les assiettes des grands chefs, comme celles d’Alain Ducasse, d’Anne-Sophie Pic, de Gilles Choukroun et de bien d’autres…

Mais c’est surtout son gras, souvent décrié dans les autres types de viande, qui a eu raison de moi.

A l’époque, quelques pièces de salaisons, essentiellement destinées aux clients de notre restaurant, sortaient déjà de notre cave chaque année. Je travaillais déjà avec ce qui était jugé comme étant les meilleures races porcines, telles que le Large White.

Aussi, avec une méthode d’affinage unique à notre domaine, les jambons et saucissons étaient déjà très appréciés. J’avais donc assez d’expérience sous le coude pour savoir que ce qui fait la qualité d’un produit (saucisson, jambon ou échine), c’est avant tout le gras intra-musculaire de l’animal. 

Et celui du Porc Gascon est absolument unique.

En fait, ce porc par la nature de son alimentation — constituée essentiellement de ce que produit la forêt… c’est-à-dire, racines, insectes, vers, glands, châtaignes — a une croissance bien plus lente que les autres races et produit des fibres musculaires courtes et rondes, permettant une meilleure rétention de l’humidité dans la viande. 

Autrement dit, la viande est incroyablement juteuse. 

Elle est persillée, tendre et offre des arômes riches, renforcés par l’élevage en agroforesterie et son alimentation. Les notes légèrement noisettées, dues à la consommation de glands et de châtaignes, sont particulièrement appréciées.

Au niveau de la santé, on tape là aussi dans le mille. Contrairement aux cochons industriels qui produisent du maigre (du très mauvais gras, rance, huileux), le gras du Porc Gascon est riche en acides gras insaturés. Ce “bon gras” est reconnu pour ses bénéfices sur la santé, notamment en favorisant un équilibre favorable entre les oméga-3 et oméga-6, pouvant aider à réduire le mauvais cholestérol (LDL) tout en augmentant le bon (HDL).

Une graisse de cette qualité, je n’en ai trouvé nulle part ailleurs, sur aucune autre race de cochon, même celle plébiscitée par les plus grands chefs. 

A la minute où j’ai compris ça, je me suis immédiatement et exclusivement dédié au Porc Gascon. Les seules salaisons qui sortaient de nos caves chaque année provenaient de ce cochon. 

40 ans après, j’ai affiné mes techniques d’affinage spécifiques à notre domaine qui permettent d’enrichir nos salaisons avec des saveurs encore plus persistantes. Et surtout, je suis resté fidèle au Porc Gascon. 

Vous souhaitez goûter à cette expérience gastronomique exceptionnelle ?

Chacun de nos produits a sa propre identité et se veut l’aboutissement de plusieurs dizaines d’années de recherche, de travail et de passion.

Nous envoyons régulièrement Notre Lettre au Bon Goût d’un Cuisinier-Paysan pour vous tenir au courant de la disponibilité de nos produits. En attendant, vous pouvez découvrir chacun d’entre eux en détail en cliquant ici : 

Vous voulez mieux comprendre la gastronomie, l’agriculture et leur impact sur votre santé ?

Rejoignez les lecteurs exigeants de notre « Lettre au Bon Goût »

Patrick Duler

cuisinier-paysan

Fondateur de la Maison Duler

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